Analyse du réseau de la SDNComprendre le fonctionnement d’une institution internationale, c’est aussi comprendre les réseaux de personnes qu’elle structure et dans lesquels elle s’inscrit. Les très riches archives de la Société des Nations (SDN), conservées au Palais des Nations à Genève (qui abrite désormais l’ONU, qui a succédé à la SDN après la Seconde guerre mondiale), sont susceptibles d’être analysées sous la forme d’un réseau d’où émergent des relations personnelles et institutionnelles qui offrent à l’historien la possibilité d’un regard nouveau sur le contexte intellectuel de l’entre-deux-guerres !

Dans le cadre de mes recherches sur les réseaux de communication scientifique durant cette même période, voilà deux mois que j’explore avec un collègue l’admirable fonds d’archives de la CICI, la Commission Internationale de Coopération Intellectuelle, un organe de la SDN chargé du rétablissement des relations intellectuelles dans un monde radicalement marqué par le premier conflit mondial. Le temps est venu d’en dresser un premier bilan et d’évoquer les perspectives de recherche ouvertes par l’analyse de réseau.

Modéliser un fonds d’archives

Exemple d'arborescence d'archive

Une archive, c’est une collection de documents organisée selon une arborescence simple, mais qui varie en fonction de l’institution. Le graphe ci-contre est un exemple d’arborescence, une clé de lecture du graphe de réseau qui lui succède ci-dessous, et qui met bien en évidence le fonds principal, divisé en sections, elles-mêmes divisées en dossiers. Ces derniers contiennent un ou plusieurs documents. A ces informations structurelles, on ajoute un dernier élément (ici en bleu), les personnes “actrices” des documents en question. Par “acteur” on entend un individu qui a directement agi sur le document, à savoir son expéditeur ou son destinataire. Il s’agit donc d’un élément de métadonnée que l’on extrait du document lors de sa consultation, alors que la lecture complète du document lui-même est laissée à plus tard (ne sont donc pas inclus les personnes citées dans le document).

L’état actuel de l’inventaire

GrapheGlobal

Cette visualisation témoigne de l’avancement du dépouillement du fonds de la CICI, on y voit des documents inventoriés (connectés aux personnalités – en bleu clair – qui en sont les acteurs) comme des dossiers orphelins qui n’ont pas encore été ouverts. En terme d’analyse de réseau, ce graphe n’est pas exploitable puisqu’il mélange plusieurs types de noeuds (les éléments archivistiques et les personnes) et plusieurs types d’arêtes (les structures d’archives et l’action d’une personne dans un document). Il n’en est pas moins utile pour comprendre la structure réseau archivistique lui-même.

Détail du grapheOn y observe que certaines personnalités apparaissent dans un nombre important de documents, alors que certaines autres sont satellisées en périphérie. Il ne s’agit pas pour l’instant d’interpréter ce graphe car il n’est qu’un état intermédiaire du dépouillement du fonds, mais on remarque d’ores et déjà la centralité de certaines personnalités marquantes de l’institution, secrétaires généraux et présidents de commissions en tête.

Passer du réseau “archivistique” au réseau “interprété”

Du graphe précédent, on commencera par retrancher les noeuds qui structurent l’archive et qui ne contiennent pas en eux-même d’individus “acteurs” (le fonds, les séries, les dossiers) pour ne garder que les documents et les personnes :

Réseau de documents et de personnes

Il s’agira ensuite de procéder à une projection, depuis le graphe obtenu (ci-contre), pour n’afficher plus que le réseau de personnes. Cette étape est la plus sensible du processus puisqu’il s’agit d’évacuer les sources pour ne garder plus que leur produit, à savoir les relations qui s’y tissent. Cela présuppose une définition claire de la relation que le nouveau graphe décrit. Dans notre cas, il est explicite que le nouveau graphe visualise la “présence simultanée de deux acteurs dans un document”. ProjectionCe procédé a déjà été expérimenté par Yannick Rochat dans le cadre d’une analyse des Confessions de Rousseau où les personnages sont liés dans un graphe en fonction de leur présence simultanée dans une page du texte. Il ne s’agit donc pas de décrire et visualiser le “réseau de Rousseau” mais de décrire le “réseau de Rousseau tel que son texte nous le présente”. Une nuance qui paraît réductrice à ceux qui oublieraient qu’on ne fait jamais l’histoire d’un objet mais bien d’un “objet tel que les sources à disposition nous le présentent”.

NB: Je ne vous propose pas ici la visualisation du graphe “interprété” du fonds en question, simplement parce qu’il n’a pas de sens tant que la recherche elle-même n’a pas été circonscrite à tout ou partie du fonds avec une question de recherche pertinente.

Les potentialités de l’analyse de réseau

DavosReseauLes outils d’analyse liés à l’analyse de réseaux sociaux sont d’une très grande richesse. Je développerai cette conclusion sous la forme d’un exemple tiré d’une recherche précédente mais intimement liée à la question de la coopération intellectuelle : les cours universitaires de Davos (1928-1931), ces congrès savants dont je dispose déjà d’un graphe interprété des relations entre intellectuels (ci-contre), d’une simplicité qui m’autorise à m’en servir de lieu d’expérimentation.

Alors que des analyses de centralité, intermédiarité, proximité et autres vecteurs propres ne sont pas nécessaire pour comprendre les relations qui se sont tissées lors de ces congrès, un plugin de spatialisation géographique de Gephi ouvre de nouvelles perspectives expérimentales.

Cartographie des interactions, Davos 1928-1931La compilation de données est telle qu’elle rend difficile au chercheur d’obtenir une vision globale des interactions tissées lors des congrès de Davos. La cartographie du réseau d’interactions lui offre une vision différente, mettant ici en évidence la position particulière des intellectuels de Francfort, plus liés à des collègues parisiens qu’à leurs homologues berlinois, quand bien même la situation politique de l’Europe, malgré les récents accords de Locarno, ne favorise que très prudemment le dialogue franco-allemand. L’intérêt d’une telle approche se trouve évidemment dans la comparaison entre d’autres réseaux locaux (d’autres congrès) et institutionnels (la SDN, par exemple) pour tenter de comprendre par quels biais l’Allemagne est petit à petit réintégrée dans le concert des nations.

Cet état de la recherche a fait l’objet d’une discussion et d’un compte-rendu de Yannick Rochat.

Un lien supplémentaire à propos des Digital Humanities et de la Société des Nations : Base de donnée LONSEA

Collaboratif

Chercheurs, passionnés, curieux ou passants, votre avis m’importe beaucoup dans cette phase d’expérimentations, laissez-moi un commentaire ci-dessous ! Merci d’avance pour vos feedbacks et conseils !