Le journalisme d’aujourd’hui et de demain“, Edwy Plenel en est un des représentants francophones les plus emblématiques de ce début d’année 2013. Le titre de cette conférence, organisée par la Fédération des étudiants neuchâtelois, sied d’ailleurs très bien à la personnalité de celui qui fut pendant de très nombreuses années un collaborateur du Monde (où il entre en 1980 pour en assumer ensuite la direction de la rédaction de 1996 à 2004) et qui préside désormais le site web d’information Mediapart dont il est un des cofondateurs.

Les paragraphes qui suivent sont la transcription des propos d’Edwy Plenel lors de cette conférence du 29 avril à l’Université de Neuchâtel.

Quel bilan de santé du journalisme ?

Edwy Plenel, entouré de membres du journal universitaire de Neuchâtel et de la tribune "Jet d'encre".

Edwy Plenel, entouré de membres du journal universitaire de Neuchâtel et de la tribune “Jet d’encre“.

Le journalisme est un malade. La révolution numérique est un point de non-retour. Elle n’est pas une prolongation de ce qui existe sur le papier. Le modèle commercial est profondément ébranlé, une destruction de richesses est à l’oeuvre. Le journal papier est un objet clos, le numérique est une relation foisonnante, participative, où le monopole du journaliste est contesté. Il faut épouser cette modernité parce qu’elle est une occasion de réinventer notre métier, en y défendant le meilleur de notre tradition professionnelle.

Enjeu essentiel : la question de la valeur. Mediapart a fait le pari d’être un laboratoire, où le public achète de l’information. Nous ne vivons que de l’abonnemment de nos lecteurs, un pari qualifié de fou par les observateurs. Mediapart a défendu la valeur de l’indépendance, de la qualité (sur internet, on est pas condamné à faire de la superficialité racoleuse), du public. La refondation du journalisme ne doit pas faire l’erreur de céder sa qualité.

Le journalisme, nécessaire en démocratie

Salle comble à l'Aula des Jeunes-Rives (Université de Neuchâtel).

Salle comble à l’Aula des Jeunes-Rives (Université de Neuchâtel).

Notre métier a historiquement une responsabilité sociale. Il faut être arc-bouté sur cette mission principale d’information. Comment voter si je ne sais pas ? Le journalisme loyal, pluraliste, est d’intérêt public, citoyen. La liberté d’opinion et d’expression n’est pas le propre du journalisme. Le journalisme se légitime auprès de son public, pas de son propriétaire ou de ses annonceurs. Je ne crois pas qu’il y ait un modèle unique. Il faut qu’il y ait un pluralisme. L’opinion c’est votre affaire [au public], vous pouvez la faire circuler même sans journaliste par blog ou réseaux sociaux, ça remet le journalisme à sa place (qui est de produire des informations d’intérêt public).

Nous devons apporter quelque chose qui n’existe pas sur les chaînes et sites d’information en continu : des enquêtes, des faits nouveaux, de la création d’information. On doit casser les routines, rien n’est pire que les médias qui chassent en meute. Pourquoi, de manières diverses, la conception du journalisme de Mediapart crée le conflit ? C’est le signe d’une démocratie fragile, qui a peur d’elle-même. De plus, il existe un préjugé social à l’égard du numérique (et donc de Mediapart comme journal numérique). A propos de l’affaire Cahuzac, il s’en est fallu de peu pour que le mensonge ne gagne. C’est une alerte pour toutes nos sociétés : même si ce n’est pas une affaire grave (mort d’homme, conflit armé, etc.), cela met en évidence qu’il est possible qu’une information soit tuée dans une société aussi ouverte que la nôtre.

Journalistes et citoyens, une nouvelle alliance

Un public qui ne se gêne pas de commenter largement les propos du conférencier.

Un public qui ne se gêne pas de commenter largement les propos du conférencier sur Twitter.

Le journalisme est condamné à créer une nouvelle alliance entre les pôles amateurs et professionnels. Je n’aime pas l’expression « journalisme citoyen » parce que je pense que le journalisme a une responsabilité citoyenne. L’information, ce n’est pas le scoop, mais une réalité qu’on ne voyait pas avant d’en faire une information. Les réseaux sociaux, c’est aussi (en plus du café du commerce), le lieu des alertes démocratiques, des whistleblowers.

Les pouvoirs ont toujours des tentations oligarchiques, et pas seulement dans les tyrannies. “La publicité de la vie politique est la sauvegarde du peuple” disait Jean-Sylvain Bailly, président du tiers-état en 1789. Il faut donc informer le citoyen avec lequel on entre dans une alliance dialectique : des journalistes qui descendent de leur estrade et acceptent qu’il y ait d’autres savoirs que les leurs (la critique du lecteur crée de la confiance). Internet est une université populaire, le monopole du journaliste est terminé, et c’est une bonne nouvelle ! Les adversaires de cette nouvelle alliance sont les communicants.

Le scandale de Boston, c’est que les autorités ont fait entrer leur action policière dans un agenda médiatique. C’est de la mauvaise police parce qu’elle crée la panique et le black-out par sa mauvaise utilisation du média. La lutte contre un acte individuel n’est pas une guerre. Obama l’a très bien pointé du doigt dans son discours après la capture en faisant la liste des questions sans réponse.

Le défi majeur du journalisme dans un avenir proche ?

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Edwy Plenel est également professeur associé à l’Académie du journalisme et des médias de l’Université de Neuchâtel.

Défendre la valeur. Si les journalistes ne sont pas capables de convaincre le public que leur métier a une valeur, ils sont perdus. Il faut que nous affrontions des infos qui nous dérangent. Il ne suffit pas de croire que l’on pense politiquement juste pour informer vrai. Ce qui fait d’un journalisme qu’il est exigeant, c’est qu’il décrive aussi des réalités qui le dérangent lui-même. Nous sommes requis, journalistes et citoyens, dans cette bataille de la valeur. Il n’y a pas de fatalité.

L’affaire Cahuzac, comme tant d’autres, est obscène. Qu’est-ce que l’obscène ? Ce qui est hors de la scène. Notre force, c’est la révélation de ce qui est caché. Le monde de ceux qui nous dirigent ne doit pas bénéficier de ce secret !

Les compléments des autres intervenants ainsi que les questions du public ne sont pas transcris ici, pour conserver la lisibilité des propos du conférencier.

Commentaire

"I'm a poor lonesome journalist" - Edwy Plenel quitte le campus neuchâtelois à l'issue de sa conférence.

I’m a poor lonesome journalist” – Edwy Plenel quitte le campus neuchâtelois à l’issue de sa conférence.

Les deux heures de conférence ont donné lieu à de sympathiques échanges sur Twitter, autour du hashtag #JAJD (florilège d’utilisateurs à suivre : @EricButticaz, @cloebernier, @Jeleamini, @1Barbara_Santos, @VickyHuguelet, @O_l_epi_de_peau, @GiroudStephanie, @NicolasFriedli, @HermanThierry, @EmilieNasel, @Shalf, @memepasmal, @Fabieng87, @AlizeeLiechti, @Emilytripstyle, @JulieLiardet, mention spéciale à @JessicaFabienne, @ClineBi, @IrisKV et @romain_bardet,  impliqués personnellement dans la conférence).

Quel avenir pour un journalisme confronté aux défis du numérique ?  Si ce compte-rendu appelle à des questions, suscite des remarques ou nécessite des compléments, n’hésitez pas à laisser un commentaire ci-dessous !